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Les psychotherapies sont-elles efficaces ?

 

Quelques hypothèses neurobiologiques sur l'efficacité des psychothérapies...


Depuis plus de 20 ans, quantité d'études menées par des équipes de recherche, tentent de vérifier par des procédures rationnelles, "objectives", voir reproductibles, - (certains évoqueraient des left brain procedures) - la validité et la légitimité thérapeutique des psychothérapies les plus reconnues (1) ainsi soumises à des évaluations protocolaires, harmonisées au cadre  de la "médecine par les preuves" (EBM :Evidence Based Medecine).(2)


En parallèle, la recherche en neurosciences, neuropsychanalyse comprise (M. Solms), permet de confirmer selon des critères scientifiques précis,  les constats narratifs directs et indirects, qualifiées de "subjectifs", émanant des patients ou des psychothérapeutes,  selon lesquels les psychothérapies dans leur ensemble ont des effets thérapeutiques manifestes, et vérifiables.
 

Les travaux du psychiatre chercheur et prix Nobel, E. Kandel  qui a montré à partir de ses travaux sur la limace de mer l'Aplysie, que les connections synaptiques peuvent être modifiées ou augmentées,  à travers la régulation de gènes par l'apprentissage à partir de l'environnement, ont été assez décisifs. "Kandel a fait l'hypothèse que la psychothérapie pouvait apporter des changements similaires dans les synapses du cerveau" car : "si la psychothérapie est considérée comme une forme d'apprentissage, alors ce processus d'apprentissage qui survient en psychothérapie peut produire des altérations de l'expression génétique et ainsi altérer les connections synaptiques." (3)
 

Depuis, de très nombreuses études "empiriques", étayées par exemple par les révélations de l'imagerie neuroanatomique, étoffent clairement l'idée que les psychothérapies ont une action directe et à long terme sur le fonctionnement psychique, par le biais des modifications induites au niveau cérébral, au niveau -synaptique, -cellulaire, -moléculaire, mais aussi -du flux sanguin cérébral, - ou du métabolisme des neurotransmetteurs, de même ordre que ceux induits par les traitements médicamenteux (4), mais avec en sus des modifications qui se maintiendraient bien souvent à plus longue échéance. Gl. O. Gabbard, psychiatre et analyste peu suspect de sympathies à l'égard de l'approche neurobiologique,  souligne dans son ouvrage didactique "Psychodynamic Psychiatry" (2014), que "les découvertes de la neurobiologie sont éclairantes vis à vis de notre compréhension des psychothérapies ces dernières années. Un simple tour d'horizon de ces découvertes souligne le fait que la psychothérapie a un impact majeur sur le cerveau et ne peut être dévaluée comme simple soutien ou procédé bénin de réassurance".
 

La neuroplasticité (5) cérébrale serait  au centre de l'efficacité des psychothérapies qui modifiraient ainsi les circuits neuraux des émotions, de la pensée et du comportement. (6)


Il y a plus de 20 ans, en 1994, le psychanalyste et chercheur américain en neurosciences A. Schore, chantre de l'interdisciplinarité (entre biologie, neurologie, psychanalyse et théorie de l'attachement) clamait qu'il n'était plus possible de fonder la théorie du fonctionnement humain sur "la description des processus psychologiques. (Celle-ci) doit être congruente avec ce que nous savons sur le développement de la structure biologique du cerveau". (7)   


Dans son champ de recherche, Schore pose au premier plan 3 considérations fondamentales qui loin de réfuter l'hypothèse de l'inconscient, lui donnent une assise qui lui semble non spéculative, mais biologiquement étayée (ce qui ne plait naturellement pas à tout le monde)   :

  1. les premiers moments de l'existence ont une valeur critique sur le développement ultérieur des structures et fonctions cérébrales
     

  2. les émotions sont essentielles à prendre en compte pour comprendre le fonctionnement humain,
     

  3. les processus inconscients sont au coeur du self.
     

Pour ce chercheur, il s'agit notamment de comprendre les processus interactionnels opérant "de cerveau-à-cerveau", induisant non seulement des changements dans le registre cognitif conscient, mais aussi et surtout des modifications dans le registre émotionnel, modifications qui apparaissent absolument décisives, selon lui, dans tout processus psychothérapeutique, et d'autant plus dans les troubles les plus difficiles. Pour Schore encore, ce sont les fonctions implicites non conscientes du cerveau droit, - et non pas celles du cerveau gauche surinvesti dans le monde occidental, qui à ses risques et périls "privilégie  la pensée rationnelle, logique, analytique"  (8) -, qui sont dominantes à la fois dans le développement et dans les psychothérapies.
 

Dans cette veine que l'on peut qualifier de "neurothérapique", le chercheur et psychologue américain L. Cozolino, soutient dès lors que tout changement psychothérapique est tributaire de l'activation de processus "neuroplastiques", eux mêmes fonction des qualités de liens d'attachement. "Pourqu'il y ait changement, nos cerveaux doivent subir des changement structuraux qui se réfléchiront dans nos pensées, sentiments et comportements. Ainsi le succès de la psychothérapie dépend de l'agilité du thérapeute à stimuler des phénomènes de neuroplasticité dans les cerveaux des patients afin d'établir de nouvelles connections, d'en inhiber d'autres et de lier des réseaux neuraux précédemment dissociés". Le thérapeute et son patient co-créent des "récits qui soutiennent l'intégration psychique et neurale tout en créant un cadre pour orienter l'expérience dans le futur. A travers la co-construction de récits de soi cohérents, nous sommes capables de renforcer nos capacité auto-reflexives, notre créativité et notre maturation. Cela est particulièrement valable pour comprendre notre histoire, pour consolider notre identité, et traiter nos traumatismes". (9)


Il est clair que cette conception du psychisme, s'accommodant des critères méthodologiques de la démarche scientifique, et tenant aussi compte du riche legs spéculatif de la psychanalyse, est susceptible d'induire - via la promotion au sein d'une communauté de chercheurs, d'un ensemble d'hypothèses qui semblent corrélées, vérifiées, et approfondies au fil de ces 20 dernières années - , des modifications très importantes de la conception des -effets-  "psychothérapeutiques" ; elle tend ainsi à  re-légitimer ce qui ailleurs s'énonce comme un bricolage de pratiques ou de techniques hétéroclites, plus ou moins soustendues par une Weltanschauung psychanalytique diffuse et vulgarisée, quand la psychanalyse elle-même est restée très limitée dans les aspirations thérapeutiques qu'elle n'a cessé de revendiquer pour aider à prendre en charge les pathologies psychiques les plus lourdes (sans parler de l'autisme...: les troubles graves de la personnalité ou les psychoses, sont restés globalement hors du champ d'efficacité de la psychanalyse, tous courants confondus). Les travaux menés dans la perspective de la neurobiologie interpersonnelle, semblent peut-être susceptibles d'offrir à terme pour une quantité de troubles jusqu'ici considérés comme relativement intraitables ou rétifs à la talking cure, des issues  plus convaincantes...
 


 

(1) Cela pose d'importantes difficultés, dans la mesure où l'exigence de vérifiabilité, de reproductibilité, et d'évaluation quantitative peut vite être biaisée ou se révéler totalement farfelue : évaluer quantitativement l'issue d'une psychanalyse, ou comparer les issues de cures analytiques sur des sujets "semblables" parait absurde. Pourtant sous la pression des administrations et de la logique économique, les psychanalystes s'y essaient, - "psychiatrisant" leur objet. En 2004, l'Inserm publiait un rapport qui fit grand bruit en comparant psychothérapies familiales, cognitivo-comportementales et psychanalytiques brèves. Le rapport sera désavoué le 5 février 2005 par le ministre de la Santé, M. Douste-Blazy qui affirmera que « la souffrance psychique [n'est] ni évaluable ni mesurable », officialisera le retrait du rapport du site du ministère de la Santé afin de rassurer les psychanalystes.
 

* En effet à un niveau épistémologique, le débat peut se poser en ces termes : "d'aucuns s'interrogent encore actuellement si la psychothérapie relève des sciences idiographiques - concernées par les faits uniques et non répétables - ou des sciences nomothétiques qui s'efforcent d'établir des lois et à tester des hypothèses au moyen d'expériences." S. Hendrick, Problématique et méthodologie de l'évaluation des psychothérapies, Thérapie Familiale, 2009/2,30.
 

(2)  La psychanalyse contemporaine dans son courant non lacanien, tend elle aussi à adhérer aux exigences formelles de scientificité propre au champ médical ; refusant d'être marginalisée, elle s'ouvre depuis des années aux impératifs méthodologiques expérimentaux sanctionnant toutes les formes de "psychothérapie" en quête de reconnaissance, de validation, et de vérification par des instances tierces. L'évaluation passant pour l'épreuve de vérité des thérapies. Le débat fait toujours rage car l'acceptation de ce deal normatif, prétend sauver la psychanalyse de sa propension endogamique (se reproduire entre soi c-à-d re-produire des psychanalystes) et d'un  isolement culturel croissant, mais peut être pas son...âme.
 

(3) Gl.O. Gabbard, Psychodynamic Psychiatry in Clinical Practice, American Psychiatric Publishing, 2014.
 

(4) "Il est curieux que, quoique la plupart des professionnels admettent que les troubles psychiatriques sévères puissent nécessiter le maintien de médicaments sur une vie entière au delà de la phase aigüe, personne n'argumente jamais pour la poursuite indéfinie de la psychothérapie (quoique Sigmund Freud ait problématisé l'analyse terminale et interminable).  H. A Nasrallah  Repositioning psychotherapy as a neurobiological intervention, Current Psychiatry 2013, December;12(12):18-19.
 

(5) Neuroplasticité : "c'est la capacité du système nerveux à changer en fonction de l'expérience et à encoder cette expérience dans ses structures". L. Cozolino, Why Therapy works - Using our minds to change our brains. Norton, 2015.
 

(6) H. A Nasrallah, ibidem.
 

(7) A. Schore, The Science of the Art of Psychotherapy, Norton, 2012. Depuis 2005, après une phase d'une dizaine d'années liée aux progrès importants en neuroimagerie et aux travaux sur les processus cognitifs qui ont vu l'essor des psychothérapies cognitivo-comportementales (TCC) (la finalité était de modifier les cognitions inadaptées du patient) :  la recherche porte depuis 2005 bien davantage sur le développement social et émotionnel, et sur l'hémisphère cérébral droit, plutôt  que sur l'hémisphère gauche (siège des processus cognitifs). Pour A. Schore il s'agit là, d'un véritable changement de paradigme (T.S Kuhn) dans le champ de la psychologie et des disciplines connexes.
 

(8) Ibidem.
 

(9) L. Cozolino, Why Therapy works - Using our minds to change our brains. Norton, 2015.


 

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