Culture
MASCARADE
Film de Nicolas Bedos · 2 h 15 min · 1 novembre 2022 (France)
Genre : Comédie dramatique Casting (acteurs principaux) : Pierre Niney, Isabelle Adjani, François Cluzet, Marine Vacth, Emmanuelle Devos, Laura Morante, Charles Berling, James Wilby.
La Côte d’azur, vue par Nicolas Bedos, est le contexte-prétexte d’histoires qui s’enchevêtrent et nous confinent dans le chatoiement des artifices, du fric facile, du monde de promoteurs véreux, des paillettes, des bimbos paumées, des villas-très-jet-set, d’une actrice en disgrâce en fin de carrière mi-dupe mi-désespérée avec son arrogance de diva capricieuse et richissime, excellemment jouée par Isabelle Adjani, amourachée d’un jeune gigolo (Pierre Niney) lui-même amouraché d’une affriolante bimbo vénale (Marine Vacth)… Chacun cherche son chat… son pied. Le ratage est assuré pour la plupart, qui manquent leur objet. L’objet de leur désir est plutôt même, un leurre temporaire, une illusion séductrice à laquelle chacun (ou presque) benoîtement succombe… La tromperie est générale et se mue en véritable arnaque et autre escroquerie, jusqu’à conduire pratiquement à la potence. Certain(e)s tentent de sauver leur peau, chairement/ chèrement là où d’autres sont prêts à tout plaquer et payer pour des faveurs voluptueuses. Le tout sur fond de cynisme contemporain où s’étiole ce qui reste de relations sociales, où se font/ se défont les liens « amoureux » ici solidement intriqués à l’utilisation de l’autre, exploitable comme une simple "ressource humaine". Je baise/Je te baise.. Qui baise qui ? Qui se fait baiser… Situation au demeurant d’une banalité féroce mais excellemment décrite par Bedos.
L'enigmaticité du désir ne porte plus comme jadis sur la "chose sexuelle", mais sur l'enjeu narcissique. Nous ne sommes pas chez Bunuel avec "cet obscur objet du désir". Le sexe jadis transgressif et onirique, est ici définitivement asservi à une simple fonction d'étayage consumériste et narcissique. L'érotisme et le fantasme en lisière, passés en arrière plan, cèdent le pas et la place à la théâtralisation d'une jouissance liée à l'exploitation sadique de l'autre, portée à pleine puissance par Marine Vacth. La Côte d'Azur incarne ce lieu où le soleil, le fric et le clinquant, les égotismes à ras du plancher, et le mépris de l'un pour l'autre, dessinent la fresque pathétique de notre socialité ambiante.
La justice, constitue la toile de fond du scénario, puisque le film est structuré du début à la fin, par l'irruption de séquences où les témoins se succèdent dans les salles d'audiences, séquences qui alternent avec les plans où l'histoire se déroule, dans un parallèle de récits, de flashbacks où nous sommes emportés, et où l'on constate que lorsque l'institution judiciaire est conviée par la force des choses, celle de la violence issue des manipulations qui vont jusqu'à une mascarade de tentative d'homicide créée de toutes pièces par Marine Vacth qui bien sûr joue la victime - place qui vaut cher dans notre univers où règnent les simulacres : elle n’y voie résolument goutte et en ces temps où l’on ne prête qu’aux femmes, (cf les évidences scandées du moment), les hommes, jeunes beaux, vieux beaufs et autres saumons argentés, iront tous finalement se faire voir et faire les frais des mensonges bien manigancés, les avocats faisant "bien" leur boulot. L’œil de Cyclope de l’institution judiciaire, se contentera des apparences à la va-vite, pour laisser la prédatrice, séductrice et vénale, vicieuse et menteuse, représentante de ces personnalités présentant ce que les américains ont isolé sous ces 3 traits très éloquents -the dark triade - : machiavélique, narcissique et psychopathe, - vivre sa vie à sa guise pour le plus grand bonheur de son ego vampirique et d’un enfant, une fille, co-engendrée par l’un de ses hommes, peu importe lequel d’ailleurs, et taillé sur mesure pour vivre une vie de couple mère-fille entièrement au féminin. Sans homme : Le Graâl. Ce dernier (comme Nietzsche dirait le "dernier homme") n’étant ici qu’objet, ustensile, portefeuille voué à payer, proie débile tout juste bon à se faire entretenir et lâcher quelque pension alimentaire de choix. Déréliction.
Servis par la ravissante Marine Vacth, l’élégant Pierre Niney et l’incontournable François Cluzet, ce film s’inscrit résolument dans une époque, la nôtre, où perversion, mensonge, manipulation, emprise, et ustensilisation de l’autre définissent le commun et la norme ambiante de nos relations sociales qui conviennent à beaucoup sauf quelques-uns… Epoque où la vérité n’a qu’à bien se tenir, et plutôt à l’écart des tribunaux et de la « vérité judiciaire » qui incarne plutôt son rebut, époque où abuser d’autrui est devenu une donnée immédiate de la conscience intentionnelle, pour paraphraser en un bloc, Bergson corrigé par Husserl.
On s'étonnera quelque peu de la critique faite par Télérama, qui s’indigne que Bedos puisse contribuer à donner une mauvaise image des femmes, ou de raviver la guerre des sexes et Libé, n’est pas plus tendre, qui désespère en maudissant le film. Parfait. Comme à un enterrement il s’agirait apparemment, de ne pas parler des réalités qui fâchent. L’esthétisme contemporain répugne à ce qu’il appelle des clichés (hormis les siens) autant qu’à la guerre (des sexes, des classes, …) pourtant là sous nos yeux, qui dé-figurent le monde tel qu’il va. Il faut flatter les semblants : décrire, dire, montrer le monde à la condition de planquer alors les ordures, les sdf, les femmes vénales, les hommes pervers, la médiocrité ambiante, sous le tapis et rions encore de choses plus légères ou plus abstraites….On se pince. Planquons tant qu’on y est le monde sous les dorures plutôt qu'en révéler le négatif ?
Le 4e film de Nicolas Bedos, qui connait quelques longueurs et rebondissements, est dans l’ensemble une énieme réussite. Il se saisit d’une réalité bien connue sur la Côte où l’on raconte volontiers que des femmes vulgaires, sans moyens ni vertus, du genre "michtos", recherchent dans les palaces les plus en vue ou sur le net, le pigeon friqué, naïf, et suffisamment oblatif, la "ressource humaine" digne de ce nom, - pour l’usuel motif de survie économique mis en orbite par de puissantes aspirations de revanche sociale et de vengeance sur le "sort" (On se contentera de ce terme ici) ... Vulgaires et prêtes à tout, à qui d'ailleurs l'institution judiciaire genrée au féminin accordera ses faveurs monotones. Du tout cuit. Banal après tout. Consumation.
Question cynisme et décadence le film « Sans Filtre » du créatif Ruben Oslund, Palme d’Or du Festival de Cannes 2022, avait poussé plus loin, le bouchon d’une critique sociale pointant la mutation contemporaine d'un monde déstabilisé, en proie à une décivilisation et une barbarie sonnant fric ou pas le retour au grégaire, rameutant la Grande Bouffe de Marco Ferreri en lui donnant une portée plus contemporaine avec une morale à trouver dans la bascule du monde qui vient et qui se défait sous nos yeux. Ici pas de point de bascule à l’échelle du Titanic, et pas d’espoir ou de ligne de fuite vers un Ailleurs salvateur : - le bouchon flotte dans une mare provinciale décrivant une réalité qui est toujours celle d’une précarité économique grandissante poussant les moins scrupuleux et les plus audacieux à jouer salement des coudes dans ce que j'appellerai une lutte des crasses, pour avoir une place au soleil au soleil en étripant si nécessaire ses congénères…une place au soleil de la vulgarité et du nombril. Du vécu !
Frank Bellaiche
Novembre 2022