Perversion Narcissique
PERVERSION NARCISSIQUE : LEXICON
LA DISPARITION ?
La notion de perversion a totalement disparu de la sémantique spécialisée et de la taxonomie psychiatrique. Les "paraphilies" ont supplanté le terme en ce qui concerne le registre purement sexuel. Quant au registre psychologique, le syntagme perversion narcissique qui y est relatif, ne figure pas dans les traités de psychiatrie. La psychologie ne s'occuperait plus de morale ni sexuelle ni de morale tout court. La morale / préhistorique, patriarcale, mysogyne, réactionnaire a laissé libre cours à son envers : pulsions, jouissance, revendications échevelées, nivellement, mise au pilori des interdits et des limites.. sans aucunement épargner ou prémunir du- mal affichant d'autant plus de radicalité... Perversion morale : connait pas. A présent paradoxalement on commence à peine à considérer les violences sexuelles et les relations incestueuses, sans les planquer sous le tapis de la banalisation ou du déni institutionnel. Il se passe quelque chose assurément.
Pourtant en dehors du champ étroit des maltraitances sexuelles ou physiques, le parent pauvre des violences relationnelles, reste toujours invariablement l'ordre des violences psychologique ou "morales". Qui chez les enfants, sont aussi des violences neuro-developpementales, selon les données accumulées dans les travaux de recherche internationales depuis des dizaines d'années.
Mais dans une société où l'im/a/moralité ambiante induit le retour du religieux, chargé d'assurer une morale d'airain qui ne soit pas du semblant..., les pervers sont paradoxalement les premiers à la faire sur le dos des autres... Et il n'est pas étonnant finalement que le syntagme dérange et soit sans examen, bien vite ringardisé, car économiquement aussi, la perversion parait rentable : l'insoutenable subordination des salariés pour reprendre à D. Linhart (2021) en témoigne largement. En tous les cas, le syntagme fait vendre et écrire à profusion, et les pervers eux s'en amusent...
La perversion dite "narcissique" a le vent en poupe, dans les journaux, les médias, et les ouvrages de vulgarisation qui prolifèrent, micro-essais, bios, romans trafiqués, on ne compte plus les titres. Chaque mois ou presque, dans les revues grand public, les étagères des libraires, et autres plateformes, les accroches sur la perversion narcissique ou les manipulateurs, fleurissent. L'offre pullule et la demande afflue : comment repérer un manipulateur, comment gérer les personnes toxiques, faire face à un pervers narcissique, pour en finir avec les pervers narcissiques... Les journaux à grand tirage délivrent régulièrement leurs digests sur les profils monochromes des séducteurs, des manipulateurs environnants et des fameux "PN", mais aussi les combines, manoeuvres et contre-manoeuvres pour leur échapper. Des tests en 2D sont régulièrement proposés pour savoir si vous en faites partie. Certains arrivent parfois en consultation avec une certitude ou une demande de vérification : leur compagne, leur compagnon ne serait-il pas "PN", pervers, toxique ? D'autres consultent pour vérifier qu'ils ne le sont pas...
L'Autre sous la figure incarnée du Mal, en modèle réduit, ici PN, cliniquement sans issue, - intraitable - , est plébiscité pour stigmatiser l'une des causes, ou des effets du malaise contemporain : dans le monde politique, dans le domaine privé, dans l'entreprise, ... Le mal est si diffus qu'il est question de "Cité perverse". (D-R Dufour). La déliaison sociétale devrait beaucoup à l'extension du domaine de la perversité "ordinaire". A vrai dire, par delà l'a-pensée pub des ondes relais médiatiques, je souscris à cette thèse.
Le champ de la perversion s'est malgré les apparences, -en raison de/malgré - l'illimitation (J. Cl Milner) dans le registre des moeurs qui génère quelques vents réactifs- considérablement élargi ou en tous les cas devenu bien plus visible :
Si l'on s'en tient au recul effectif des problématiques dites "névrotiques", à la prééminence des modes de défense (distincts du refoulement) qui régissent les modes d'organisation psychique - l'interdit ayant du mal à faire sens, invalidé par des autorités discréditées - la fonction paternelle s'étant grandement délitée,
Si l'on s'en tient au centrage addictif narcissique généralisé suscitant l'incitation à jouir sans entraves ni égards vis-à-vis de l'autre sous l'impulsion du consumérisme généralisé favorisant l'exploitation de tous par tous, prodiguant le règne d'un maternel sans césure, et la mise à disposition illimitée d'un objet dont la gratification se veut aussi permanente qu'évanescente, disposition permanente rendue possible par les mutations technologiques conjointes aux intérêts financiers du capitalisme,
Il en résulte un affaissement considérable de la capacité à faire lien, des difficultés majeures dans la continuité et la fiabilité de la relation à l'autre, une carence socialement induite des capacités d'empathie et d'identification, et une externalisation de la morale jadis intériorisée au profit du Droit chargé de rétablir des limites afin que le jeu sociétal puisse (un temps, dirais-je) perdurer : à la morale surmoïque intériorisée se substitue donc peu à peu la Police... ou son avatar religieux, venant répondre à la confusion généralisée et au vide axiologique. Inénarrables discours sur la perte de repères...
TRANSGRESSION
Ainsi ce qui à l'époque de Freud pouvait régulièrement paraître transgressif ne l'est plus, devenant même ce qui est donc tacitement ou explicitement encouragé comme modalité élective d'épanouissement individuel. Faust à l'ère du numérique, partisan de toutes les aventures, de toutes les expériences, de toutes les tentations : - outline/outlaw plutôt que borderline.
En dehors de la pédophilie et de l'inceste, tout semble, dans la Cité, permis et licite, surtout si c'est monnayable. Idéologie anti-socratique : "oublie-toi toi-même, et jouis de la prolifération indéfinie des objets pulsionnels". Théologie négative de l'Interdit : le seul qui subsiste est celui qui affecte la pensée : si l'interdit a pour vocation de permettre, d'autoriser, de favoriser par le détour qu'il impose, les processus de pensée, cette configuration inédite a pour finalité, - l'interdit de penser. En effet le "consumérisme exige des identités simples, vides et fixes". (R. Redeker, L'école fantôme 2016). Vide... Nous sommes résolument servis.
La culpabilité se dissipant par mise hors jeu des limites, la seule menace qui contrevient à cette économie addictivo-festive, qui pèse sur l'individu outline est - d'une part évidemment le vide dans lequel il sombre (pathologies de l'insuffisance d'A. Ehrenberg) quand "l'ombre de l'objet" laisse le moi à son esseulement, et le révèle pour ce qu'il est, d'autant que l'étayage sociétal n'offre plus le cadre compensatoire de solidarités vivantes qui tramaient sens et repères, et - d'autre part la honte quand le social lui revient en pleine figure, lui réverbérant son inanité, et lui demandant parfois des comptes : le Droit et la Police donc, en lieu et place de l'"ennuyeuse morale" ( E. Levinas).
Dans l'univers socio-économique contemporain, dominé par la concurrence, la rivalité, le profit, et l'envie, valeurs absolues de l'être-au-monde-néolibéral délesté de toute autre aspiration et notamment sans préoccupation pour la Culture - conçue de manière minimaliste comme ce qui transcende les intérêts immédiats et égotistes promus par la concurrence généralisée : c'est inévitablement un "mode d'existence au détriment de celles des autres" qui est généralisé, encouragé depuis le début même du cursus scolaire malgré une discursivité égalitariste qui donne le change, et qui se déploie dans sa radicalité mutilante dans les rapports sociaux, dans le champ des relations intimes, et dans le monde du travail où le harcèlement moral est totalement harmonique avec une certaine conception du management - à l'origine d'une "casse" psychosociale terrible. Les mesures prises jusqu'à aujourd'hui pour lutter contre le harcèlement moral au travail, resteront durablement lettre morte si rien n'est fait pour noyauter à la source les "nuisances". Ce serait sans doute prendre un risque économique trop important...
Cette notion "d'un mode d'existence au détriment de celles des autres", pour reprendre cette expression à M. Hurni et G. Stoll (2014), est ce qui définit selon eux, de manière ramassée le noyau de la "perversion narcissique", concept issu de l'élaboration théorique audacieuse de P-Cl. Racamier, psychanalyste fondateur d'une nouvelle perspective, ouvrant sur une reconsidération, voire même une réhabilitation dirai-je, de - la Réalité. Terme voué aux gémonies par des décennies de glose et contre-glose psychanalytique, (une certaine psychanalyse plutôt ) - exception faite de sa réduction au principe ( le principe dit de réalité).
Réalité donc, de la violence et de la perversité propre à la modernité marchande, a fortiori capitaliste, - perversité que P-Cl. Racamier (1992) définissait donc proprement ainsi : « façon organisée de se défendre de toute douleur et contradictions internes et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, tout cela aux dépens d’autrui et non seulement sans peine mais avec jouissance ». Tout un programme ... rigoureusement mis en oeuvre de manière explicite, par les systèmes ou les fonctionnements pervers (individus, collectifs, institutions, Etats). On aura compris qu'ici, l’Autre idéal et quotidien : c’est l’ustensile…
ADAPTATION
Sur-adaptés à la dynamique perverse qui régit notre société, les pervers narcissiques sont comme des poissons dans l'eau. Se pensant de plus toujours hors de cause, intouchables, omnipotents, rétifs à toute remise en question, sinon de façade, ils seront donc bien davantage concernés par les tribunaux, une fois pincés s'ils le sont un jour, que par les cabinets de psy qu'ils n'ont aucun intérêt à fréquenter. Ils se veulent l'incarnation de la nouvelle normalité stratège. Si certains (cf. D. Barbier, 2013) osent le chiffre de 30% de pervers narcissiques dans la population générale et bien davantage dans les sphères de pouvoir, il est aisément compréhensible que les théories du complot ne peuvent que proliférer à l'égal de cette sous population...
Au névrosé de jadis emberlificoté dans son rapport à la Loi et sa culpabilité, se frayant une place de choix dans les cabinets de psys, le pervers affranchi de manière définitive de tout doute et de toute culpabilité, ne passera jamais la porte d'un quelconque psy, preuve s'il en était pour lui que tout va pour le mieux...sinon pour qu'il lui soit dit au bout du compte qu'il aura manigancé, que c'est l'autre, l'empécheur de vivre en rond (comprendre la victime qu'il accable et sur laquelle il projette ses propres travers) qui est la cause de tous ses pseudo maux... Loi et culpabilité pour les autres, il se veut homme ou femme libre, seul(e) comptable de sa jouissance, obtenue aux dépends de l'autre et dans une dynamique de dissimulation généralisée. C'est ainsi que les PN ont quelque prédilection pour occuper des postes à responsabilité, des postes de pouvoir car ils en jouissent et y parviennent non sans exercer des effets destructeurs sur ceux dont ils se servent : au sein des entreprises où ils font des dégâts des années durant, protégés par quelques pairs et l'inertie du système, et autres codes hiérarchiques anachroniques (tel salarié manifestement maltraité par son "N+1" ne pourra faire remonter l'info à son N+2 ou 3 etc...: le système étant peu perméable aux interpellations de la "base", et les N+X étant eux souvent totalement sourds à ce qui se passe tout en bas) ; des dégâts, sur quantité de salariés, au sein des entreprises ou des institutions chargées bien souvent de mettre quelque ordre dans le social et dans certaines professions prisées par eux et notamment dans le champ magnétique du pouvoir, où ils s'avancent masqués et par avance défendus...
POLITIQUES
Côté politique, dans la Cité perverse, les représentants du peuple, donnent au grand désarroi des naïfs, et en tête de peloton, l'exemple.
Affaires, trahisons, tromperies et autres jeux de dupes "les yeux dans les yeux". Mensonges et coups tordus aux sommets. Les banlieues, les quartiers et le reste, prennent de belles leçons de turpitudes. En attendant, on ne cesse en parallèle, de faire la morale et de décrier blabla une perte de valeurs et de sens. Patacivisme condescendant où les mécanismes de mise en pièces de la réalité, sont dominants. La réalité, cette imposture. Supercherie perverse redoublée, qui achève de discréditer la Chose politique. Fin de l'été l'affaire Cahuzac, et début de l'automne, la livraison Buisson. L'heureux élu présidentiel sera-t-il le plus cynique ? Plus on refile aux gens de la télé-réalité, de l'intime, du direct, pour les brancher illusoirement sur des "vérités" infrasémantiques (l'image comme bouche trou du sens), plus dans les coulisses de la gouvernance, il est possible de s'affranchir de toute transparence, et de réduire les discours à des images, de simples leurres, réhabilitant le "mensonge" chargé de sécuriser la dite gouvernance, opérant dans une opacité des plus compactes, et contribuant à desceller le pacte démocratique, en opposant encore davantage les élites et la base.
Dans le monde du travail, évoqué plus haut, cet autre "théâtre de la cruauté" ( Artaud), où les "ressources humaines" filent leur train de désêtre, se déréalisant et se dépersonnalisant au quotidien - l'écrivain chilien Mario Vargas Llosa a bien pointé avec justesse le malheur qui préside à l'avenir de l'homme aliéné à un labeur sans intérêt et contraire à ses désirs fondamentaux : - la précarité, le management par la terreur, le harcèlement moral déjà évoqué, et autres burn out, sont le lot quotidien des salariés, toujours sur la sellette : conditions électives de leur silence et de leur mise au pas.
Les arrêts de travail seront souvent conséquents, des semaines, des mois, et bien davantage la mise au rebut dans la logique de cette réification acceptée, intériorisée et validée par les institutions chargées du contrôle, alors qu'on devrait bien plutôt "arrêter" l'entreprise mortifère qui envoie ses dites "ressources", son "capital humain" selon feu Staline (D R Dufour, op. cit), au casse-pipe.
Face à la souffrance des salariés, les instances administratives parfois interpellées par les mêmes salariés, préfèrent souvent regarder ailleurs, avec le concours paresseux du pouvoir médiatique qui ne montre que ce qu'on lui ... montre.
Cf sur le sujet, mon article : https://psy-psychiatre.fr/content/le-travail-comme-souffrance
INTIME
Dans la sphère privée, la violence exercée sur les individus, les abus et autres maltraitances, n'auront durant des décades, généré que bien peu d'intérêt de la part des professionnels de la souffrance mentale, les considérant à travers l'angle mort de la neutralité, et le parti pris zélé à suivre le démenti freudien de la réalité externe, des perversions au premier chef, sinon pour discourir à vide sur les "perversions sexuelles" et d'un autre côté déconsidérer ce qui de près ou de loin pouvait s'y rapporter dans la clinique du quotidien et de sa banalité...Il ne s'est finalement jamais rien passé... "On bat un enfant", sera l'article de S. Freud toujours avancé pour mettre en cause la réalité de la maltraitance infantile, conférant à cette notion, dont on met en cause l'émergence récente, un simple statut de fiction "medico-psychologique"....Car il est vrai que depuis 1897 Freud fit des hystériques non pas les victimes des pères ou d''oncles' abuseurs incestueux,figurant dans leur monde extérieur, mais les victimes de leur propre monde interieur, de leurs fantasmes et de leurs pulsions sexuelles débridées. La vie psychique autonomisée, autarcique était née : l'interprétation en roue libre allait pouvoir commencer et les maîtres de vérité, proliférer. La théorie du fantasme supplantant donc la théorie de ladite "séduction" traumatique... La naissance de la psychanalyse, fut pour certains, à ce prix, celui de l'éviction des traumas et du monde extérieur. Déni, ou dissociation en acte au coeur même de l'édifice spéculatif de la psychanalyse (E. Howell, 2020)... Et certains s'offusquent qu'il puisse être question de remettre la vérité à l'endroit et la psychanalyse traditionnelle ...à l'envers. Il suggèrent ainsi de ne pas "occulter" la dimension inconsciente qui serait dès lors, qu'est mise en avant le registre de la violence sexuelle ou autre, renvoyée dans "l'ombre". On constatera plutôt qu'à la place du fameux "souvenir-écran", nous avons ici la "théorie-écran", chargée de banaliser/baliser le déni et de continuer à discréditer la parole des victimes d'abus ou de sévices, et notamment les enfants - veritable chair à canon de la toute-puissance des adultes qu'ils soient hommes ou femmes, - enfants-victimes qui fabuleraient ou mentiraient par essence, c'est bien connu, quand les adultes ne disent que la vérité, et surtout en justice où le vrai équivaut selon une logique chaotique, à son contraire ... La "pédagogie noire", selon A. Miller, peut donc se poursuivre sans encombres : une psychanalyse "noire" lui étant donc sa meilleure alliée et son vénérable relais.
La "maltraitance" reste ainsi toujours considérablement méconnue, très sous estimée dans ses impacts et ses déclinaisons, et n'est la plupart du temps investiguée qu'a la seule condition qu'il y ait des "traces" physiques évidentes... Quantité d'enfants sont victimes régulièrement de leur entourage "parental" et de la violence exercée par des personnalités tramées autour de mécanismes pervers. Outre-atlantique où les investigations sur les psychotraumatismes et sur les relational traumas, sont les plus abouties, les chercheurs les plus reconnus s'étonnent du traitement réservé au sein même des institutions psychiatriques à la question de la maltraitance infantile - l'ouvrage de référence américain (DSM V) duquel dépend ensuite la validation internationale de moyens thérapeutiques jugés adaptés, continue symptomatiquement d'ignorer sa spécificité, pourtant largement documentée à ce jour.
Ainsi par exemple, B. Van der Kolk chercheur de réputation internationale, fustige-t-il cette négligence : "A ce jour, après plus de 20 ans et 4 révisions consécutives, le DSM et le système entièrement fondé sur lui, ignorent toujours la catégorie des enfants victimes d'abus et de négligences - comme ils ignorèrent la situation désespérée des vétérans avant que la catégorie du PTSD ne soit introduite en 1980".
Mais l’indignation se fait plus précise et prospective eu égard aux études suffisamment étayées à présent pour tirer le signal d’alarme : il apparaitrait entre autres que « le problème de santé publique le plus grave et le plus coûteux aux USA (est celui) des abus infantiles. (Il a été calculé) que les coûts globaux excédaient ceux du cancer ou des pathologies cardiaques, et que l’éradication des abus infantiles en Amérique réduirait le taux total de dépression de plus de la moitié, l’alcoolisme de deux tiers, la violence domestique aux trois quarts. Cela aurait aussi un effet décisif sur les performances sur les lieux de travail, et diminuerait largement le taux d’incarcération ». (The Body Keep The Score - Mind, Brain and Body in the Transformation of Trauma, Penguin, 2014.) Ces considérations chiffrées pour étonnantes qu'elles paraissent, mériteraient une révision plus aboutie de l'abord des troubles "psychiques", invariablement pensés comme étant issus d'un "désordre" purement individuel ou intrapersonnel. Ce schéma pour heuristique qu'il fut, a montré depuis un certain temps ses limites...
Le "paradigme" psychanalytique centré sur l'intrapsychique, aura profondément déterminé en la matière, les positions d'autres acteurs chargés pourtant de statuer sur la réalité de la violence perverse et les réponses à y apporter : - médecins, magistrats, avocats, travailleurs sociaux, éducateurs et autres psychopathologues pris dans son sillage, ont été captifs de près ou de loin, de la primauté attribuée au conflit intrapsychique, contribuant à "escamoter" la prise en compte des conflits "externes", et ainsi de la violence subie par les victimes prises dans le jeu mortifère imposé par d'autres... Ainsi il était bien plus simple de privilégier le conflit intrapsychique et de spéculer en rond, sans avoir d'autre compte à rendre qu'à la logique autarcique de la spéculation, plutôt que de considérer la complexité d'une situation également travaillée par des dimensions interpsychiques ou transpsychiques (P-C. Racamier) et une conflictualité bien réelle, et bien déterminante sur la psyché des individus : inutile en ce cas de considérer l'effort pour rendre l'autre fou (H. Searles). Dora n'est au fond qu'une simple petite hystérique : inutile d'aller chercher plus loin. Prendre en considération les "contextes", le monde extérieur et le monde tout court, n'est pas pour une certaine psychanalyse, de la psychanalyse... Sidérant.
PSYS
La "perversion ordinaire", écrit-on ici encore, chez un auteur qui s'étonne de la remontée des revendications des "victimes", par exemple au travail, qui dans sa perspective teintée de références voulues -anthropologico-religieuses", renverrait forcément à de la souffrance. Le labeur n'est pas ludique. De quoi se plaint-on ? Ainsi le harcèlement moral au travail serait une catégorisation victimologisante d'une simple réalité manageriale qui depuis un siècle au moins se serait considérablement assouplie. Cette position est en fait, assez cynique.
L'incrimination d'un Autre localisé, externalisé, qui serait le vecteur électif du Mal, répartissant deux univers bien tranchés - celui du bourreau et celui de la victime -, trouble cependant le confort doctrinal de certains psys, chérissant les ambivalences et le théâtre de l'intériorité, récusant les partitions aussi décidées, et plus davantage propices à déceler dans la "victime" d'une violence traumatique, une complaisance suspecte, une position inconsciente, masochiste etc... tout le ronron qui durant des décades a été servi aux victimes de violences sexuelles par exemple et contre lequel s'insurge M. Salmona ; ici aussi ils sont ainsi hâtifs à dénoncer une forme de complotisme "moral" et de retour de quelque "religiosité" suspecte dans le champ même de la clinique, sanctuaire du "sujet" où l'altérité menaçante n'est jamais finalement toujours qu'intérieure (pulsions, désirs, corporalité, langage). Psychopathologos. Retour de la morale, donc, rien que ça. Le réel peut donc encore rentrer chez lui, et donner les clefs aux bourreaux. Le dispositif de déni, d'une certaine forme de discours qui voudrait avoir une pertinence clinique, gros des présupposés analytiques gardant encore quelques assises, est toujours très actif. La réalité externe, la violence, l'inceste, le viol, les maltraitances, les psychotraumatismes, la perversion narcissique donc... ? - ...connait pas.
Il est vrai que dans le champ psychiatrique la promotion assez récente, et tout à fait lacunaire de cette catégorie (inexistante dans les traités) ne rencontre bien souvent que scepticisme et critique, ou incrédulité chez divers "experts". Sentiment de déjà vu, labélisation et montée en épingle qui seraient vaines. "Toute perversion serait narcissique", ai-je entendu, et le tour est joué. Tournage en boucle du pléonasme. A chacun de revenir à son corpus doctrinal, pour s'en défendre; saveurs camphrées et naphtalines.
Pourtant ce discrédit et cette méconnaissance ne doivent en réalité, rien au hasard.
Et les effets de cette méconnaissance sont drastiques car quand comme bien souvent, la perversion débarque toute armée dans les théâtres de justice, les carottes sont déjà bien cuites pour ceux qui en sont, selon un terme que chérissent peu les mêmes, - les "victimes", peu flatteuses en soi pour l'ego. La victime serait à en lire certains, une canaille et une production idéologique de notre époque complaisante. "Trop d'émotions, trop dans l'émotion", vous dit-on. La Raison pure comme la Psychanalyse pure doivent régner. (Pourtant même, et je trouve cela interessant, même dans le champ judiciaire on peut lire l'appel original par sa relative rareté et sa pertinence éclairée, d'une magistrate à ne pas s'en défier de manière convenue : "C'est pourtant là une grossière erreur. En effet, les émotions ont leur utilité. Elles permettent de se protéger et de répondre à un besoin. Elle peuvent même être un outil précieux de compréhension et d'appréhension des situations" (V. Noël, 2021). Cette idée est largement soutenue par nos connaissances actuelles en neurobiologie affective, en théorie de l'attachement et dans le cadre de la psychanalyse du self ou relationaliste. Il est à remarquer que les pervers ne font pas eux justement dans l'émotion ou le sentiment, ils mentent et ne sentent rien sinon de manière surjouée, suradaptée au mieux mais ô combien factice. Cela ne les empêche pas d'avoir des débordements émotionnels gravissimes, des crises de rage ou de colère, mais cela ne les aide aucunement en l'occurence à comprendre mais plutôt à prendre, à saisir, d'effroi leur proie...
Cette méconnaissance, qui prend les allures du savoir, tient sa dynamique dans le geste freudien initial, fondateur, selon lequel, dans la réalité, la perversion est finalement rare sinon exceptionnelle : le simple "négatif" de la névrose ; encore chez les enfants, le consensus qui n'a l'air de rien, s'opère autour de la perversion qui serait ici polymorphe. Cela ne mange pas de pain et donne bonne conscience aux adultes campés de Raison.
...Véritable "escamotage de la violence" à l'intérieur du champ analytique (G. Stoll, M. Hurni 2014) et de son terrain de jeu psychiatrique.
J'ajouterai que cette thèse ne cessait d'en accoucher d'une autre, toujours décriée sur un mode similaire : c'est le monde extérieur qui est exceptionnel et improbable. Baudrillard Revival.
Le déni peut être élaboré, construit, feuilleté. Ici il l'est avec une élaboration tout à fait extraordinaire. Sans trop d'entame à en croire ces "experts", qui ironisent sur l'existence de la perversion narcissique. Choix décisif troublant, mais qui rend compte de cette butée, de cette difficulté à penser la violence dans une configuration faisant place à l'autre et à sa résistance... Dispositif de déni donc difficile à mettre en cause, sa construction idéologique datant de plus d'un siècle.
COMBLE
Le comble des plus usuels pour une "victime" malmenée par un pervers narcissique est de se voir qualifiée de la sorte. C'est assez courant, et noie le poisson pour un temps auprès des tiers. Perusasion et mensonges font l'essentiel du travail... Le mot étant passé dans la langue courante avec le succès du à la forte médiatisation de la notion, il prend tournure d'insulte même de la bouche de ces personnes rompues à l'exercice d'une perversité où ils officient en maîtres. Ils iront souvent jusqu'au bout et devant témoin, même judiciaire pour se faire passer pour victimes. Le tiers judiciaire ou medicopsychologique n'y voit souvent que du feu, non affranchi de ses préjugés ou des intimidations sociétales ou médiatiques. Tours de passe-passe bien connus dans les tribunaux, dans lesquels les avocats excellent. Logique puisque la culpabilité doit, chez ces personnalités, être le lot de l'autre. A l'autre, la charge de la preuve et de l'anathème réunis... Endosser le rôle de la victime, identifie cette propension stratégique permanente à la dissimulation, et cette loi curieuse de l'échange : où l'identification surjouée à l'autre est factice, tout comme l'empathie qui ne peut être que feinte, pour arriver à ses buts.
Le comble du comble c'est lorsque, le pervers narcissique se fait intouchable parmi les intouchables : au delà d'un poste d'un simple poste de pouvoir qui l'agrée et le met souvent à l'ombre d'une mise à l'index, - il peut ainsi jouir durablement du pouvoir exécutant...qu'il exerce sur autrui - quand il opère sous la guise d'une fonction de psy, psychologue, psychiatre ou "thérapeute" et même en tant qu'expert - sur le thème sulfureux des "perversions". Alors là, c'est le Graâl de la canaillerie. Il en existe même qui publient ou séjournent régulièrement sur les médias pour draguer quelques victimes potentielles : leur séduction et leur tromperie trois étoiles, étant ainsi mises à contribution publique ... Personne n'y voit que du feu,... A la différence des "cons", version Michel Audiard, qui se reconnaissent à ceci qu'ils "osent tout", les pervers de ce genre, osent tout en effet, mais ils échappent généralement à la -reconnaissance - des institutions qui ferment souvent les yeux, alors que le public les yeux pourtant ouverts, n'y voit justement - rien. Et qui plus est, ils font même la leçon et moralisent à l'envi. Ce qu'exprimait avec clarté cette année un intellectuel assez médiatique, dans une fiction autobiographique, où il règlait divers comptes, dont ceux avec son beau-père, un "psychanalyste" germano-pratin.
FONCTIONNALITE
Je soutiendrai enfin que des modes relationnels pervers narcissiques, peuvent prendre corps dans certaines situations de conflit, et s'exacerber mettant au silence des modalités de fonctionnement jusqu'alors prévalents. Ainsi dans le cadre de conflits menant aux tribunaux, l'on assiste très souvent à une dramatisation où tous les arguments sont possibles pour nuire à l'autre. Tout l'arsenal des modes d'attaque et de défense perverse peuvent être mobilisés pour arriver à triompher : ruse, intimidation, séduction, mensonges, passages à l'acte, dénigrement, dévalorisation, désubjectivation, décervelage, sur fond de déni, clivage, identification projective...
Frank BELLAICHE
Article mis à jour - juin 2021